L’ordonnance contre les rémunérations abusives dans les sociétés anonymes cotées en bourse (ORAb) contient les dispositions d’exécution de l’initiative populaire «contre lesrémunérations abusives». L’ORAb est entrée en vigueur le 1er janvier 2014. Elle s’applique jusqu’à l’entrée en vigueur de l’initiative au niveau législatif. L’ordonnance ne s’applique qu’aux sociétés anonymes suisses cotées en bourse. En prévision de futurs développements, les dispositions de l’ORAb sont également intéressantes pour des sociétés non concernées.
Le 3 mars 2013, le peuple et les cantons ont accepté l’initiative populaire fédérale «contre les rémunérations abusives» (initiative Minder). Le texte de l’initiative, devenu ainsi partie intégrante de la Constitution fédérale, oblige le Conseil fédéral à édicter, dans l’intervalle d’une année, les «dispositions d’exécution nécessaires». A cet effet, l’avant-projet «d’ordonnance contre les rémunérations abusives» (VgdA) a été mis en consultation en été 2013. Compte tenu des réponses reçues, l’avant-projet a été modifié sur plusieurs points. La modification la plus importante concernait le titre de l’ordonnance: elle porte désormais le nom d’ordonnance contre les rémunérations abusives dans les sociétés anonymes cotées en bourse (ORAb). L’ORAb est entrée en vigueur le 1er janvier 2014. La mise en œuvre définitive de l’initiative se fera au niveau législatif (sans doute dans le cadre de la révision du droit de la SA). L’ordonnance sera valable jusqu’à l’entrée en vigueur des dispositions légales correspondantes.
Le présent article fournit d’une part un aperçu de l’ordonnance contre les rémunérations abusives dans les sociétés anonymes cotées en bourse, tout en éclairant d’autre part de manière plus détaillée les aspects fondamentaux des rémunérations et de la teneur nécessaire des statuts. Il aborde plus particulièrement les aspects de l’ordonnance ayant trait au droit du travail. Finalement, l’article indique quelles sont les règles qui s’appliquent à partir de quand sur la base des dispositions transitoires et tente de prévoir des évolutions futures. Finalement, les dispositions de l’ORAb sont présentées individuellement sous forme de tableau. Sur la base de ce tableau, le lecteur pressé pourra obtenir un premier aperçu de l’ordonnance.
Destinée à assurer la mise en œuvre de l’initiative Minder, l’ordonnance vise à empêcher que des rémunérations excessives ne soient versées par la société à des membres des organes supérieurs (et à des personnes qui leur sont proches). Une plus grande influence des actionnaires dans ce domaine y est liée. L’ORAb met l’accent d’une part sur les rémunérations en tant que telles, ainsi que sur les prêts et les crédits, et d’autre part sur la participation des actionnaires à la détermination des rémunérations. De plus, elle définit quelles sont les rémunérations interdites et quelles sont celles qui nécessitent une règle statutaire correspondante (et de ce fait l’aval des actionnaires). Les rémunérations sont par ailleurs soumises à une réserve d’acceptation par l’assemblée générale qui doit désormais voter obligatoirement au sujet des rémunérations de la direction.
En outre, les sociétés soumises à l’ordonnance sont tenues de constituer un comité de rémunération. Ce dernier doit obligatoirement être composé de membres du conseil d’administration. Le conseil d’administration dans son ensemble doit rendre compte annuellement dans un rapport sur les rémunérations des rémunérations versées et des prêts et crédits octroyés par la société.
Finalement, l’ordonnance prescrit que l’assemblée générale doit élire individuellement les membres du conseil d’administration, les membres du comité de rémunération et le président du conseil d’administration. En ce qui concerne sa présidence, le conseil d’administration et le comité de rémunération ne peut donc plus se constituer de lui-même. La représentation institutionnelle des droits de vote (représentation des actionnaires par un membre d’un organe de la société ou par un dépositaire) est interdite. Elle est remplacée par le représentant indépendant des droits de vote qui doit également être élu par l’assemblée générale. La durée du mandat pour toutes ces personnes est d’une année avec possibilité de réélection.
Les violations de mauvaise foi contre l’ordonnance sont punies d’une peine privative de liberté de trois ans au plus et / ou d’une peine pécuniaire pouvant atteindre six rémunérations annuelles. Il s’agit là d’infractions dites poursuivies d’office, c’est-à-dire pour lesquelles les autorités pénales doivent intervenir d’office.
L’ordonnance s’applique aux sociétés anonymes conformément aux articles 620 – 762 du Code des obligations dont les actions nominatives ou au porteur sont cotées auprès d’une bourse en Suisse ou à l’étranger. Elle ne s’applique pas à d’autres sociétés publiques, à des sociétés qui ne sont pas organisées sur la base des dispositions du Code des obligations ou à des sociétés anonymes qui ne sont pas cotées en bourse ainsi qu’à d’autres formes juridiques. Elle s’applique également – contrairement à sa réglementation dans le champ d’application – aux institutions de prévoyance, selon la Loi sur le libre passage dans la prévoyance professionnelle, qui détiennent des actions de sociétés suisses cotées en bourse. L’ORAb ne concerne pas toutes les rémunérations d’une société, mais uniquement celles versées aux membres actuels (voire anciens) du conseil d’administration, de la direction et du conseil consultatif. Les rémunérations ne correspondant pas aux conditions du marché et versées à des tiers proches des personnes susmentionnées sont également concernées par l’ordonnance. Pour qu’une rémunération soit soumise aux dispositions de l’ORAb, il faut donc que trois conditions soient remplies:
- société anonyme suisse selon les art. 620 – 762 CO;
- actions nominatives ou au porteur cotées auprès d’une bourse suisse ou étrangère;
- le bénéficiaire d’une rémunération est ou était membre du conseil d’administration, de la direction ou du conseil consultatif (ou éventuellement un proche de ces personnes).
Si l’une de ces conditions n’est pas remplie, l’ordonnance ne s’applique pas. En déplaçant le siège social de la société à l’étranger, en se retirant de la bourse ou en opérant une modification de la forme juridique, il serait donc possible de se soustraire (du moins à court terme) à l’ORAb. Le renoncement à une position correspondante dans un organe n’est possible que si le titulaire renonce effectivement à sa fonction. Dans la pratique judiciaire, les dispositions de l’ordonnance devraient sans doute également être applicables à des structures de fait assimilables à des organes. Il convient dès lors de déterminer si l’on est en présence d’une situation de fait assimilable à un organe qui entraîne l’application de l’ORAb, tout particulièrement lorsque l’on recourt à des managers par intérim, des liquidateurs (en-dehors de la LP), des conseillers avec un pouvoir de codécision, etc.
Le terme de «rémunération» ci-après est utilisé dans le sens de l’ORAb en tant qu’indemnité versée aux membres du conseil d’administration, de la direction et du conseil consultatif.
Les rémunérations constituent l’élément central de l’ordonnance. L’ORAb définit la notion de rémunération très largement en y associant aussi bien des versements que des prestations présentant une valeur monétaire. Sont en particulier considérés comme des rémunérations:
- honoraires, salaires, bonifications et notes de crédit;
- tantièmes, primes sur le chiffre d’affaires et autres participations au résultat d’exploitation;
- prestations de services et prestations en nature;
- attribution de titres de participation, de droits de conversion et d’options;
- primes d’entrée en fonction (à distinguer des indemnités anticipées interdites);
- caution, engagement de garantie, constitution de gage au bénéfice de tiers et autres sûretés;
- abandon de créances;
- charges qui fondent ou accroissent des droits à des prestations de prévoyance;
- toutes prestations pour travaux supplémentaires.
Les indemnités suivantes sont interdites:
- les indemnités de départ qui ont été convenues par contrat ou qui sont prévues par les statuts;
- les indemnités anticipées (à considérer comme des indemnités versées de manière anticipée sans équivalent économique);
- les provisions pour le transfert ou la reprise de la totalité ou d’une partie d’une entreprise interne au groupe.
Au sein d’un groupe d’entreprises, les indemnités sont interdites a) si elles l’étaient également en cas de versement direct par la société, b) s’ils n’ont pas été prévues par les statuts de la société ou c) si elles n’ont pas été approuvées par l’assemblée générale de la société.
Les rémunérations ci-dessous ne sont autorisées que sous certaines conditions. Si les statuts ne les prévoient pas, elles sont interdites:
- Prêts et crédits;
- Prestations de prévoyance hors de la prévoyance professionnelle;
- Rémunérations liées au résultat;
- l’attribution de titres de participation, de droits de conversion et d’options.
Désormais, le conseil d’administration a la tâche intransmissible et inaliénable de rédiger chaque année un rapport écrit relatif aux rémunérations. Ce dernier doit contenir:
- toutes les rémunérations directes ou indirectes versées à des membres du conseil d’administration, de la direction et du conseil consultatif;
- toutes les rémunérations versées de manière directe ou indirecte à d’anciens membres du conseil d’administration, de la direction et du conseil consultatif pour autant que ces rémunérations ne correspondent pas aux conditions usuelles du marché ou sont en lien avec l’ancien mandat;
- les prêts et crédits ouverts à d’actuels membres du conseil d’administration, de la direction et du conseil consultatif;
- les prêts et crédits ouverts octroyés, à des conditions qui ne correspondent pas à celles du marché, à d’anciens membres du conseil d’administration, de la direction et du conseil consultatif;
- les rémunérations qui ne correspondent pas aux conditions usuelles du marché ainsi que les prêts et les crédits octroyés à des proches (d’actuels ou d’anciens membres d’organes de la société).
Les indications relatives aux rémunérations du conseil d’administration et du conseil consultatif comprennent chaque fois le montant global pour l’organe ainsi que chaque montant individuel avec l’indication des noms et des fonctions du membre de l’organe en question. Pour les rémunérations destinées à la direction, seul le montant global et le montant individuel le plus élevé avec indication du nom et de la fonction du membre correspondant de la direction doivent être mentionnés. Pour les rémunérations dépassant les conditions usuelles sur le marché, les prêts et les crédits dont les conditions ne correspondent pas aux conditions usuelles sur le marché et octroyés à des proches, il n’est pas nécessaire d’indiquer de noms. En raison de la formulation, il n’est toutefois pas clair s’il convient ici d’indiquer seulement le montant total ainsi que le montant individuel le plus élevé ou, au contraire, chacun des montants individuels. Comme il n’est pas nécessaire de citer des noms, il est, à mon avis, possible de renoncer à indiquer les montants individuels.
L’organe de révision contrôle que le rapport relatif aux rémunérations soit en adéquation avec la loi, l’ordonnance et les statuts. Il établit un rapport à l’attention du conseil d’administration et de l’assemblée générale quant au contrôle effectué et au résultat de ce dernier.
L’ordonnance prescrit que l’assemblée générale vote sur les rémunérations directes et indirectes. Contrairement à l’avant-projet, l’ORAb ne prescrit plus de quelle manière cette votation doit avoir lieu. Elle laisse aux statuts le soin de régler les détails de la votation et, le cas échéant, la suite à donner à la procédure en cas de refus. La disposition statutaire doit cependant prévoir au minimum que l’assemblée générale vote chaque année avec force obligatoire des montants globaux versés au conseil d’administration, à la direction et au conseil consultatif, et ceci de manière séparée. Le rapport complémentaire à l’ORAb précise qu’une disposition statutaire qui prévoirait le maintien de la règle de l’année précédente en cas de refus des rémunérations par l’assemblée générale n’est «clairement pas admissible».
La votation sur les rémunérations peut ainsi se faire de manière prospective, rétrospective ou représenter un mélange des deux. Il est également possible de prévoir plusieurs modalités de votation différentes pour les divers organes. En raison des exigences en matière de sécurité du droit (en particulier en ce qui concerne les obligations découlant du droit du travail) d’une part et des besoins de flexibilité et de contrôle de l’autre, il est probable que la pratique opte, dans la plupart des cas, pour un modèle comportant une votation prospective avancée sur un montant total par organe.
En cas de votation prospective sur les rémunérations, les statuts peuvent par ailleurs prévoir un montant supplémentaire qui pourrait – au cas où le montant total approuvé ne suffirait pas – être utilisé pour couvrir les salaires des membres de la direction nommés après la tenue de l’assemblée générale.
Les statuts et les règlements (par exemple les règlements d’organisation et ceux portant sur les rémunérations) devront avoir été adaptés aux dispositions de l’ordonnance au plus tard lors de l’assemblée générale ordinaire 2015. A cette occasion, les rémunérations non autorisées doivent être supprimées. En outre, les statuts devront régler les nouveaux contenus obligatoires conformément aux dispositions de l’ordonnance (contenu statutaire obligatoirement nécessaire):
- Nombre d’activités autorisées des membres du conseil d’administration, de la direction et du conseil consultatif auprès des organes suprêmes de direction et d’administration d’unités juridiques tenues de s’inscrire au registre du commerce (ou auprès de registres correspondants à l’étranger) qui ne font pas partie du groupe.
- Durée maximale des contrats à échéance fixe (au maximum un an) et délai de résiliation maximal pour les contrats à durée indéterminée (au plus un an) qui sont à la base des rémunérations (contrats de travail, mandats, contrats de mandat, etc.).
- Les principes relatifs aux tâches et aux compétences du comité de rémunération.
- Des détails relatifs à la votation de l’assemblée générale sur les rémunérations des membres du conseil d’administration, de la direction et du conseil consultatif.
De plus, il existe des règles qui doivent être intégrées aux statuts afin d’être valables et admissibles (contenu des statuts nécessaire sous conditions). Il s’agit plus précisément des règles relatives:
- au montant des prêts, des crédits et des prestations de prévoyance en dehors de la prévoyance professionnelle pour les membres du conseil d’administration, de la direction et du conseil consultatif;
- les principes régissant les rémunérations de ces personnes, liées au résultat;
- les principes régissant l’attribution de titres de participation, de droits de conversion et d’options à ces personnes;
- le montant supplémentaire prévu pour la direction en cas de votation prospective relative aux rémunérations;
- les détails relatifs à la procédure à suivre en cas de refus des rémunérations par l’assemblée générale.
Lors de l’adaptation des statuts, il convient de veiller à ce que les règlements et contrats correspondants soient, eux aussi, adaptés de manière à être en conformité avec les statuts. La loi ne prévoit pas de quorum qualifié pour la modification de statuts, ce qui signifie que la majorité absolue des voix présentes suffit à adopter la modification. Fréquemment cependant, les statuts prévoient, pour leur modification, une majorité qualifiée, qui doit dès lors être respectée. De plus, les décisions de l’assemblée générale relatives à des modifications des statuts doivent faire l’objet d’un acte authentique.
S’il n’est pas possible d’obtenir la décision relative à la modification des statuts, les rémunérations correspondantes ne sont pas autorisées parce qu’il leur manque la base statutaire nécessaire.
S’il manque, lors de la fondation d’une société anonyme, certains éléments nécessaires relatifs à la teneur des statuts, la société ne sera pas inscrite au Registre du commerce parce que ses statuts ne répondent pas aux exigences légales. La société n’obtiendra donc pas sa personnalité juridique. Elle «n’existera pas». Par ailleurs, il n’est pas non plus possible d’éliminer des dispositions statutaires obligatoirement nécessaires. Le Registre du commerce n’inscrirait pas ces statuts incomplets pour la même raison. Par contre, si une société anonyme existante et cotée en bourse n’intègre pas le contenu statutaire obligatoirement nécessaire à ses statuts ou si elle ne dépose pas les nouveaux statuts auprès du Registre du commerce, le préposé au Registre du commerce doit rappeler au conseil d’administration qu’il doit déposer les dispositions statutaires correspondantes – au besoin par le biais d’une décision contre laquelle il est possible de faire recours. Dans ce cas précis, la possibilité du préposé au RC d’inscrire d’office des faits obligatoires après avoir dûment rappelé, sans succès, la société à ses obligations, ne devrait pas trouver application en raison de la marge d’interprétation des diverses dispositions statutaires. Dans le cas extrême, la société risque d’être dissoute par le juge.
Les dispositions de l’ordonnance ont une influence directe sur tous les contrats passés avec les membres du conseil d’administration, de la direction et du conseil consultatif qui règlent, directement ou indirectement, les rémunérations et / ou les prêts et les crédits, la durée des mandats ou encore l’admissibilité de l’exercice d’autres activités auprès d’organes de direction ou d’administration supérieurs. De nouveaux contrats doivent obligatoirement répondre aux exigences de l’ORAb dès son entrée en vigueur, alors que les contrats existants doivent être adaptés. L’adaptation de contrats de travail risque d’être extrêmement complexe. Les contrats de mandat sont en règle générale soumis au droit du mandat et peuvent dès lors être résiliés en tout temps.
En ce qui concerne le droit du travail, ce sont avant tout des contrats de travail entre la société et les membres de la direction qui sont au premier plan, bien que des contrats de travail puissent également avoir été conclus avec des membres du conseil d’administration et du conseil consultatif. En règle générale, ces derniers disposeront cependant plutôt de contrats de mandat.
L’ordonnance s’applique immédiatement aux nouveaux contrats de travail. Les contrats de travail existants devront avoir été adaptés au plus tard le 1er janvier 2016. Les nouveaux contrats de travail ne peuvent donc plus prévoir en particulier des indemnités de départ, des rémunérations versées en avance, des provisions pour des reprises ou des transferts de sociétés internes au groupe ou encore des délais de résiliation de plus d’un an.
Diverses questions relatives au droit du travail se posent lors de l’adaptation de contrats de travail rédigés selon l’ancien droit. Le droit du travail est aussi un droit social et protège l’employé, en particulier contre la résiliation du contrat et contre une péjoration unilatérale des conditions contractuelles. S’il est vrai que l’ordonnance prévaut sur toutes les dispositions contraires du CO, c’est bien aux tribunaux qu’il appartiendra de décider si cela vaut effectivement tel quel pour des dispositions de protection obligatoires du droit du contrat de travail. On peut en douter, du moins en ce qui concerne cette affirmation péremptoire. Il est dès lors recommandé de tenir compte de la protection de l’employé, même en cas d’adaptation des contrats de travail sur la base des nouvelles dispositions de l’ORAb.
En ce qui concerne l’adaptation des contrats de travail encore conclus sous l’ancien droit, l’Office fédéral de la justice précise, dans son rapport explicatif sur l’avant-projet, renoncer consciemment, «compte tenu du grand nombre de cas d’application possibles», «au règlement explicite des conséquences juridiques» et laisse le soin aux tribunaux d’apprécier les cas particuliers. Il y a donc fort à parier que les tribunaux auront, au cours de ces prochaines années, la possibilité de se pencher de temps à autre sur l’adaptation de contrats de travail encore conclus sous l’ancien droit.
En raison du lien malheureux, d’un point de vue de la doctrine, fait entre droit pénal et droit privé, les deux parties – et tout particulièrement l’employé – ont cependant un intérêt fondamental à placer leurs contrats de travail sur une base conforme au droit. En effet, toute personne qui viole de mauvaise foi ces dispositions (par exemple en encaissant des indemnités interdites) peut être punie d’une peine privative de liberté de trois ans au plus et / ou d’une peine pécuniaire de six rémunérations annuelles au plus.
Il est donc nécessaire que l’adaptation des contrats de travail conclus sous l’ancien droit se fasse à l’amiable. En principe, cela ne pose aucun problème du point de vue du droit du travail et devrait, dans la plupart des cas, répondre également aux intérêts des deux parties. La constitution du nouveau contrat de travail adapté dépendra des négociations correspondantes menées entre l’employeur et l’employé. Il faudra cependant veiller obligatoirement à ce qu’il soit conforme tant à l’ordonnance qu’aux statuts et qu’il ne contourne pas les dispositions de l’ORAb.
Si une adaptation à l’amiable n’est pas possible, l’employeur devrait considérer le licenciement ou un licenciement de modification. Pour ce faire, il conviendra de respecter des délais de résiliation souvent prolongés contractuellement pour les membres de la direction. Comme pour tout autre rapport de travail à durée indéterminée, il convient également de respecter la protection objective et temporelle contre les licenciements. La protection objective contre les licenciements protège l’employé contre une résiliation (de modification) abusive. Dans le cas présent, la résiliation de modification serait motivée par des prescriptions légales modifiées, ce qui rendrait la protection objective contre le licenciement probablement inopérante. La protection temporelle contre le licenciement par contre pourra s’appliquer. Si l’employé bénéficie d’un délai de protection, l’employeur ne pourra pas prononcer le licenciement. Si un délai de protection tombe dans le délai de résiliation, ce dernier se prolonge en conséquence. En raison des délais de résiliation souvent prolongés, cela peut mener, en pratique, à des difficultés au niveau du temps.
L’ordonnance explique finalement qu’elle s’applique à tous les contrats à partir du 1er janvier 2016. A partir de cette date, l’adaptation se fait donc de par la loi, même sans intervention des parties. Le destin des indemnités interdites ne devrait pas poser de problèmes juridiques: des conventions correspondantes deviendront illégales et donc nulles à partir du 1er janvier 2016. Comme l’on ne peut en règle générale pas partir de l’hypothèse que le contrat dans son ensemble n’aurait pas été conclu sans la partie désormais nulle, la partie du contrat concernée ne s’applique plus, alors que le contrat continue d’être valable comme convenu. Il sera plus difficile d’apprécier les indemnités valables sous condition. Ces dernières comportent plutôt le risque que le contrat de travail n’aurait pas été conclu sans les indemnités correspondantes (par exemple bonus ou participations au résultat pour les collaborateurs). Cela déboucherait sur la nullité du contrat de travail dans son ensemble, sans possibilité d’obtenir un complément ou une adaptation approuvé par un juge. Pour les deux parties, ne rien faire et attendre débouche sur une insécurité du droit qu’elles ne souhaitent sans doute ni l’une, ni l’autre. Il faut donc déconseiller cette manière de faire.
Un besoin d’adaptation existe tout particulièrement pour les règlements relatifs aux rémunérations. Il convient d’apporter une attention toute particulière à leur définition et à leur formulation. Ils doivent non seulement être en adéquation avec l’ordonnance, les statuts, les règlements et le droit du travail, mais aussi tenir compte du fait que l’assemblée générale doit approuver ces rémunérations annuellement. Il est recommandé de prendre des mesures de précaution correspondantes, par exemple des réserves pour approbation, des délais de résiliation particuliers et des choses similaires. Au niveau du droit du travail, on se demande en particulier quel est le salaire dû si l’assemblée refuse une rémunération. L’objectif devrait être de disposer d’une disposition de remplacement avant que la rémunération à approuver ou à décider ne doive entrer en vigueur (par exemple votation sur les rémunérations à partir de janvier 2017 lors d’une assemblée générale extraordinaire en 2016). Selon le droit du travail et en l’absence d’un contrat, le travailleur a droit au salaire usuel. Cette disposition vaut certainement aussi pour les rapports de travail concernés par l’ORAb. Même si la disposition selon laquelle l’ORAb prévaut sur toutes les dispositions contraires du CO est interprétée de manière très large. Il ne s’agit pas, ici, d’une contradiction entre l’ORAb et le CO, mais d’une disposition légale générale s’appliquant lorsque d’autres dispositions légales plus spécifiques ne s’appliquent pas. Si l’assemblée générale n’approuve pas les rémunérations découlant du contrat de travail, l’employé devrait donc – du moins pour une durée transitoire correspondant au délai de résiliation – avoir droit au salaire usuel.
Les principes à la base des plans de bonus et de participation nécessitent toujours une règle statutaire. Les règles détaillées, quant à elles, peuvent être définies par des règlements, des contrats, des plans annuels, etc. L’ordonnance ne fait pas de distinction entre rémunérations fixes et variables de manière à ce que l’assemblée générale puisse voter sur un montant global qui comporte des éléments aussi bien fixes que variables.
L’ordonnance est entrée en vigueur le 1er janvier 2014. Les dispositions transitoires (art. 26 – 32) prévoient cependant pour certaines dispositions des délais de transition, voire une entrée en vigueur reportée. C’est au plus tard à partir du 1er janvier 2016 que l’ordonnance sera valable dans son intégralité. Cette manière de procéder cherche à éviter que des règles statutaires, réglementaires ou contractuelles interdites restent encore en vigueur pendant des années.
La figure 1 fait apparaître les étapes de l’applicabilité de l’ordonnance. Les numéros d’articles indiqués se réfèrent aux dispositions correspondantes de l’ordonnance (et non aux dispositions transitoires).
Certaines questions de détail que l’ordonnance n’a pas réglées, consciemment ou non, ne seront clarifiées qu’avec le temps par la doctrine et surtout la jurisprudence. Osons néanmoins faire quelques prévisions.
L’ordonnance reste en vigueur aussi longtemps que durera la mise en œuvre de l’initiative Minder, respectivement de la clause constitutionnelle correspondante, au niveau législatif. Cela se fera en principe dans le cadre de la réforme du droit de la SA. Lors du transfert du droit d’ordonnance vers le droit législatif, de premières expériences faites avec l’ORAb seront très probablement également prises en compte. Compte tenu des opinions et des exigences d’ores et déjà très controversées, on peut s’attendre à ce que des luttes féroces auront lieu en ce qui concerne l’adaptation du contenu, voire une extension ou encore une addition aux dispositions actuelles de l’ordonnance.
Au cours de ces prochains mois et de ces prochaines années, la pratique, la doctrine et la jurisprudence devront définir diverses limites pour lesquelles l’ordonnance est restée (devait rester) imprécise. Il s’agira alors également de délimiter la frontière entre l’utilisation admissible de la marge de manœuvre laissée aux sociétés par l’ORAb et les fraudes.
Les dispositions de l’ORAb ne s’appliquent qu’aux sociétés anonymes cotées en bourse et uniquement aux rémunérations versées aux membres du conseil d’administration, de la direction et du conseil consultatif. On peut cependant craindre que des juges appliquent peu à peu ces dispositions plus sévères également à des entreprises non directement soumises, sous l’aspect dit du «Corporate Governance». Il existe plus particulièrement le risque que la responsabilité de droit civil des organes puisse encore être élargie sur la base de cette nouvelle norme légale. Or, ceci n’était clairement pas l’intention des anciens auteurs de l’initiative, ni de l’émetteur de l’ordonnance. Il ne reste donc plus qu’à espérer que les tribunaux sauront résister à cette tentation.