Du fait de l’adaptation des directives du Groupe d’Action Financière (GAFI), la loi suisse sur la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme, de même diverses autres lois fédérales ont dû être révisées. Les auteurs présentent les principales modifications de ces actes ainsi que d’autres sujets importants pour leur mise en œuvre dans le secteur non bancaire. Ils évoquent par ailleurs les problèmes éventuels que cela soulèvera.
Les directives du Groupe d’Action Financière (GAFI)1 ont été adaptées en février 2012.2 Les principales innovations résident dans l’extension de la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, la lutte contre les infractions fiscales pénales ainsi que dans la transparence accrue des personnes, des entreprises et des transactions. En tant que membre du GAFI, la Suisse a été contrainte d’adopter l’essentiel de cette nouvelle réglementation internationale.3 Le 12 décembre 2014, le Parlement a adopté la loi fédérale révisée concernant la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme (LBA révisée).4 Suite à cette révision, un certain nombre d’autres lois fédérales ont dû être modifiées, dont surtout le code des obligations (CO),5 la loi sur les placements collectifs (LPCC),6 la loi fédérale sur les titres intermédiés (LTI),7 le code civil (CC)8 et la loi fédérale sur la poursuite pour dettes et la faillite (LP).9 Le Conseil fédéral a décidé de mettre en vigueur dès le 1er juillet 2015 les modifications relatives au CO, à la LPCC et à la LTI à propos de la transparence des sociétés, notamment concernant les actions au porteur. Quant à la LBA et aux autres actes révisés dans le même contexte, leur entrée en vigueur est fixée au 1er janvier 2016.10
Les nouveautés inscrites dans le CO (et dans la LPCC), qui sont en vigueur depuis le 1er juillet 2015, requièrent l’identification de tous les associés, notamment des détenteurs d’actions au porteur et, sous certaines conditions, de leurs ayants droit économiques. Maîtres Facincani et Sutter ont exposé le détail des modifications apportées au CO dans l’édition 4/2015 de TREX.11
Dans le présent article, l’exposé est poursuivi dans le sillage de Facincani / Sutter avec les innovations apportées à la LBA et à ses dispositions d’exécution, en particulier celles de l’ordonnance de la FINMA sur le blanchiment d’argent (OBA-FINMA),12 qui sera applicable à partir du 1er janvier 2016 (voir le point 2).13 Mais avant d’entrer dans le détail de la révision, il convient de revenir sur les modifications d’ores et déjà arrêtées qui donneront probablement lieu à de nouvelles adaptations peu après l’entrée en vigueur de la LBA révisée (cf. points 1.2 à 1.4).
Le 5 juin 2015, soit au beau milieu de la phase de mise en œuvre de la LBA révisée, le Département fédéral des finances (DFF) a publié son message portant entre autres sur un nouvel art. 6a P-LBA14 qui exige des obligations de diligence accrues lors de l’acceptation de valeurs patrimoniales pour s’assurer qu’elles sont conformes aux règles de la fiscalité (probité fiscale). Si cette disposition devait avoir force de loi comme prévu, cela entraînera une fois de plus d’importantes modifications peu après l’entrée en vigueur de la LBA révisée. C’est incompréhensible au regard de la teneur et de la genèse de cette disposition ainsi que des multiples adaptations intervenues depuis sa première introduction, mais aussi inquiétant sous l’angle de l’Etat de droit. Aussi vaut-il la peine de revenir brièvement sur l’historique de cette disposition qui sera discutée au Parlement lors de sa session d’automne 2015.
Dans le contexte de l’adaptation des directives du GAFI, le DFF avait, dès février 2013, publié un avant-projet d’art. 6a LBA connu sous le nom de «stratégie de l’argent propre». Cette disposition, qui aurait resserré les obligations de diligence lors de l’acceptation de valeurs patrimoniales non déclarées au fisc, a été rejetée à une grande majorité en procédure de consultation, ne serait-ce que parce que la Suisse s’étant engagée, durant la consultation, à adopter la norme internationale d’échange automatique de renseignements en matière fiscale (EAR) telle que l’OCDE l’avait conçue. Ce qui rendait l’art. 6a AP-LBA initial obsolète en la forme. Bien que le Conseil fédéral ait dû le reconnaître puisque l’EAR avait été adopté dans l’intervalle, il n’était pas vraiment satisfait de la situation. Il n’empêche que la disposition en question restait sur la table. Dans l’avant-projet de loi sur les établissements financiers (AP-LEFin),15 cette même disposition est réapparue quelques mois plus tard, à l’art. 11 AP-LEFin, à titre de préalable à l’autorisation d’exercice des intermédiaires financiers. Une fois de plus, le résultat de la consultation a été majoritairement négatif puisque l’on voyait se dessiner entretemps comment l’échange automatique de renseignements en matière fiscale allait évoluer, ainsi que le précise le Conseil fédéral dans l’avis rendu le 13 mars 2015 sur le résultat de la consultation.16 Et pourtant, le Conseil fédéral a présenté au début juin de cette année, alors même que deux consultations avaient déjà été menées à ce sujet, le projet d’art. 6a LBA actuel, largement réduit et simplifié, qui dispose qu’un intermédiaire financier doit vérifier avec la diligence requise si les valeurs patrimoniales d’un client étranger sont fiscalisées ou non, puis, pour les clients existants, si une régularisation est envisageable ou pas.
Voilà qui est plus qu’irritant. Dans l’intervalle, en effet, les travaux concernant l’échange automatique de renseignements en matière fiscale ont avancé avec l’UE et dans le cadre de l’OCDE.17 Dans la Feuille fédérale n° 27 du 14 juillet 2015 sont publiées toute une sériede projets de traités internationaux en matière fiscale18 et dans le domaine de l’assistance administrative,19 ainsi que le projet de loi fédérale sur l’assistance administrative fiscale.20 Selon le message, le nouvel art. 6a P-LBA a été adapté sous une forme allégée pour les clients étrangers des banques, afin de tenir compte des récents développements. Il reste que le message n’explique pas de manière satisfaisante pourquoi cette disposition est utilisée en plus de la qualification de délit fiscal comme infraction préalable au blanchiment d’argent (art. 305bis al. 1bis CP) et en plus de l’échange automatique de renseignements en matière fiscale ainsi que de la législation sur la restitution d’avoirs de potentats, qui est aussi «dans le pipeline». L’application de l’art. 6a P-LBA tel qu’il est prévu s’annonce difficile à l’égard de clients domiciliés dans des pays qui ne sont pas partie prenante de l’EAR ou qui ne peuvent déposer des demandes d’assistance administrative ou d’entraide judiciaire ordinaire, puisque la mise en œuvre des exigences de transparence pourrait présenter des risques considérables pour le patrimoine, voire même la vie des clients et de leurs familles. On peut par exemple se demander comment, dans le contexte de guerre civile actuel, des réfugiés syriens qui ont réussi à transférer leurs avoirs en Suisse sont en mesure de justifier de leur conformité fiscale. Il apparaît que l’art. 6a P-LBA vise essentiellement l’échange automatique en Suisse de renseignements en matière fiscale, ce que le GAFI n’exige nullement sous cette forme. Le secret bancaire suisse serait contourné par cette disposition en dépit de toutes les dénégations exprimées.
La CER, en sa qualité de commission préparatoire du Conseil national, a d’ailleurs demandé à ce dernier de ne pas entrer en matière sur le projet. La suite des événements est donc incertaine.
C’est le 1er janvier 2016 que les ordonnances d’exécution de la LBA ainsi que les divers référentiels des organismes d’autoréglementation entreront en vigueur. L’ordonnance sur le blanchiment d’argent de la FINMA (OBA-FINMA) du 3 juin 2015 a été publiée fin juin 2015. Sur le fond, elle fixe les normes et prescriptions applicables à l’adaptation des règlements de l’OAR (cf. point 2 ci-après). Ces travaux sont en cours et seront achevés fin 2015 selon le calendrier prévu.
Mais ce n’est pas tout: le 9 juillet 2015 a été enfin publié le projet d’ordonnance du Conseil fédéral sur le blanchiment d’argent (P-OBA), qui, d’une part, intègre l’ancienne ordonnance sur l’activité d’intermédiaire financier exercéeà titre professionnel (OIF)21 en la rendant plus compréhensible et, d’autre part, est censé concrétiser la teneur de l’art. 8a revLBA ajouté en dernière minute par le Parlement, à savoir les obligations incombant aux négociants qui ne sont pas des intermédiaires financiers. Le délai de consultation a expiré le 9 septembre 2015. Selon le rapport explicatif sur le projet d’OBA, les intermédiaires financiers affiliés à l’OAR ou soumis à une surveillance directe ne sont pas concernés par ces obligations. Les dispositions sur l’exercice à titre professionnel de l’activité d’intermédiaire financier à intégrer dans la nouvelle OBA ne connaîtront que peu de modifications sur le fond. La principale proposition consiste en un relèvement du chiffre d’affaires brut qui devrait passer de 20 000 à 50 000 CHF brut par année civile,22 sans prise en compte toutefois des activités exercées pour le compte de personnes proches, lesquelles resteront soumises à un plafond de 20 000 CHF, sans motif. Voilà une décision dépourvue de logique, sans doute imputable à une erreur rédactionnelle. Le malheur veut que les obligations de diligence incombant aux négociants qui désirent conclure des transactions en espèces de plus de 100 000 CHF obéissent à une définition différente de celle qui concerne les intermédiaires financiers. Ces incohérences et bien d’autres par rapport à l’OBA-FINMA déjà adoptée ont été soulevées lors de l’audition. Attendons de savoir ce que le Conseil fédéral en retiendra. Il n’en subsistera pas moins des incohérences génératrices de formalités supplémentaires considérables.
Il apparaît clairement, au travers des commentaires concernant les travaux législatifs, qu’il est devenu difficile de conserver une vue d’ensemble des travaux en cours, qu’ils soient menés en parallèle ou de façon échelonnée, ainsi que de leurs incidences sur la pratique. Les organismes d’autoréglementation auront à faire face à un problème encore plus ardu, qui est de faire aboutir ces travaux et former les intermédiaires financiers tout en amenant les intéressés à saisir et assimiler toutes ces innovations.
D’une part, les prescriptions internationales et la profondeur des dispositions ont rendu la matière plus complexe dans la mesure où la LBA révisée est devenue de plus en plus une loi transversale qui s’immisce non seulement dans les structures établies du code pénal mais encore dans celles du droit fiscal et, de plus en plus, du code civil, ce qui crée des contradictions. Il arrive que la terminologie elle-même change, pour un terme légal identique, dans les diverses lois concernées, à commencer par la notion essentielle d’ayant droit économique.
D’autre part, l’argument de l’urgence de la procédure législative a fait oublier l’importance d’une réflexion dogmatique approfondie. Ni les commissions attelées aux travaux préliminaires,23 ni le Parlement ne sont livrés à cette réflexion, et ce, ni pour la formulation de l’infraction fiscale qualifiée selon la terminologie propre au GAFI (tax crimes), ni pour l’identification de l’ayant droit économique de personnes morales exerçant une activité opérationnelle ou encore pour la réglementation des versements en espèces. Au contraire, le Parlement a abandonné le «péché» commis à l’art. 305bis al. 1bis CP en édulcorant l’exigence selon laquelle un acte préalable au blanchiment d’argent devait être un crime, pour créer la construction du délit fiscal qualifié, sachant qu’il n’était guère envisageable de se mettre d’accord dans un délai raisonnable sur la qualification de crime fiscal. A l’inverse, le Parlement, s’accommodant ainsi d’une non-conformité aux directives du GAFI, a maintenu que les négociants, qui ne sont pas des intermédiaires financiers comme on le sait, peuvent continuer à accepter des sommes en espèces supérieures à 100 000 CHF (alors que le seuil international se situe à 15 000 EUR / USD)24 et doivent en échange, sans être affilié à un OAR, respecter certains devoirs d’identification et de diligence ainsi que l’obligation de déclarer. Comme il fallait s’y attendre, le P-OBA pose, comme il est dit plus haut, des exigences contraires à celles de la LBA et de l’OBA-FINMA, qui apparaissent comme complètement erratiques par rapport à la structure désormais établie de la LBA (et à ses dispositions d’exécution). Ainsi, le contrôle devra dorénavant être confié à des «réviseurs particulièrement qualifiés», ce qui est en contradiction avec la LSR révisée,25 adoptée à peine deux sessions auparavant, et en totale méconnaissance du fait que ces négociants n’ont souvent besoin de disposer d’aucune société de révision. Si ce point est un peu amélioré dans le projet d’OBA, il n’en reste pas moins contraire aux exigences auxquelles doivent satisfaireles réviseurs des autres intermédiaires financiers (art. 11g al. 1 OSRev). Cette absence de réflexion dogmatique alliée à cette obsession de faire passer au Parlement des intérêts particuliers dans une matière aussi technique et complexe est préjudiciable non seulement à la crédibilité du législateur, mais encore à la réputation de la Suisse auprès du GAFI et à la mise en œuvre des objectifs légitimes de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme.26
Analysons maintenant, par thème mais sans prétendre à l’exhaustivité, quelques-unes des modifications concernant les intermédiaires financiers non bancaires, sur la base des dispositions déjà adoptées de la loi et de l’ordonnance.
Analysons maintenant, par thème mais sans prétendre à l’exhaustivité, quelques-unes des modifications concernant les intermédiaires financiers non bancaires, sur la base des dispositions déjà adoptées de la loi et de l’ordonnance.
L’un des principaux buts de la révision de la LBA consiste à imposer la transparence sur la ou les personnes physiques qui contrôlent une personne morale. Le législateur a recouru à cette fin au concept d’ayant droit économique que connaissait déjà la LBA mais qui subit une modification majeure du fait de la notion juridique nouvelle de détenteur du contrôle qu’instaure l’OBA-FINMA révisée. Tentons, au travers des commentaires que voici, de faire la lumière sur les réglementations respectives de la revLBA et de la rev-OBA-FINMA.
Dans leur exposé sur les obligations de déclarer incombant aux détenteurs d’actions au porteur selon le CO, Facincani & Sutter font observer à juste titre que l’art. 2a al. 3 revLBA édicté dans la même procédure législative emploie une autre notion que celle du CO pour définir l’ayant droit économique.27 C’est pourquoi ils laissent ouverte la question de savoir comment évoluera le rapport de ces deux dispositions entre elles.
Sont réputées ayants droit économiques d’une personne morale exerçant une activité opérationnelle les personnes physiques qui, en dernier lieu, contrôlent la personne morale, du fait qu’elles détiennent directement ou indirectement, seules ou de concert avec un tiers, une participation d’au moins 25 % du capital ou des droits de vote ou qu’elles la contrôlent d’une autre manière. Si ces personnes ne peuvent pas être identifiées, il y a lieu d’identifier le membre le plus haut placé de l’organe de direction.
L’art. 4 revLBA, qui définissait déjà l’obligation d’identifier l’ayant droit économique, tient désormais compte de l’art. 2a en ce sens qu’il énonce les dispositions suivantes pour cette identification – dispositions que l’OBA-FINMA développe dans le détail:
1 L’intermédiaire financier doit identifier l’ayant droit économique avec la diligence requise par les circonstances. Si le cocontractant est une société cotée en bourse ou une filiale détenue majoritairement par une telle société, l’intermédiaire financier peut renoncer à ladite identification.
2 L’intermédiaire financier doit requérir du cocontractant une déclaration écrite indiquant la personne physique qui est l’ayant droit économique, si:
a. le cocontractant n’est pas l’ayant droit économique ou qu’il y ait un doute à ce sujet;
b. le cocontractant est une société de domicile ou une personne morale exerçant une activité opérationnelle;
c. une opération de caisse d’une somme importante au sens de l’art. 3 al. 2 est effectuée.
3 L’intermédiaire financier doit exiger du cocontractant qui détient des comptes globaux ou des dépôts globaux qu’il lui fournisse une liste complète des ayants droit économiques et lui communique immédiatement toute modification de cette liste.
Les sociétés et les personnes morales visées par le CO, le CC et la LPCC se subdivisent en:
- sociétés cotées et non cotées en bourse;
- sociétés opérationnelles et sociétés de domicile.
Résumons tout d’abord les réglementations qui sont claires:
- Les sociétés cotées en bourse et les filiales qu’elles contrôlent majoritairement, ainsi que les sociétés dont les droits de participation revêtent la forme de titres intermédiés, ne sont pas tenues de fournir des indications sur l’ayant droit économique. Mais toutes les autres sociétés, même celles qui exercent une activité opérationnelle, devront désormais donner des informations sur les ayants droit économiques qui les contrôlent (art. 4 al. 2 let. b revLBA).
- Pour les sociétés de domicile, quelle que soit la forme juridique sous laquelle elles sont organisées, rien ne change par rapport au droit actuel. L’ayant droit économique doit toujours être identifié puisque le propre d’une société de domicile est précisément que certains actifs sont apportés dans un véhicule juridique, sous forme toutefois non pas de capital d’exploitation mais de véhicule de placement et de garde.
- Comme jusqu’à présent, en cas de doute sur la qualité d’ayant droit du cocontractant ou en présence d’opérations de caisse d’une somme importante, il est impératif d’identifier l’ayant droit économique (art. 4 al. 2 let. a et c revLBA), ce qui est le cas depuis toujours pour les intermédiaires financiers lors d’une transaction de 25 000 CHF portant sur l’acceptation de valeurs patrimoniales et lors de paiements à hauteur de 5000 CHF désignés par le terme de «money transmitting» (voir le point 2.3 ci-après). Il n’empêche que les négociants qui ne sont pas des intermédiaires financiers ont le droit d’effectuer des transactions en espèces jusqu’à concurrence de 100 000 CHF – des opérations d’achat, par ex. – sans qu’il faille identifier l’ayant droit économique (art. 8a revLBA).
- La nouveauté, selon l’art. 4 al. 3 revLBA, est que tous les ayants droit économiques de comptes globaux et de dépôts globaux doivent être identifiés.
- Désormais, par souci de satisfaire à l’exigence de transparence, seule une personne physiques peut être ayant droit économique (art. 2a al. 3 revLBA et art. 4 al. 2 revLBA). Il s’ensuit qu’en présence de participations et de rapports de contrôle multiples, il faut remonter jusqu’au dernier ayant droit économique, ultimate beneficial owner, qui doit alors être une personne physique. A ce jour, toutefois, personne ne sait très bien comment déterminer exactement les taux de participation pour des participations multiples et des structures de holding.
- Autre nouveauté, et c’est là un point développé au point 2.2.3 ci-après, l’OBA-FINMA révisée a créé pour la détermination de l’ayant droit économique dans une société opérationnelle un concept nouveau s’appuyant sur un détenteur du contrôle, notion qui dépasse celle d’ayant droit économique formulée dans l’OBA-FINMA révisée et, surtout dans le CO, ce qui soulève d’importantes question d’interprétation.
- L’OBA-FINMA révisée prévoit en outre, contrairement à la LBA et au CO, l’identification d’un détenteur du contrôle pour les sociétés de personnes, ce qui n’est pas vraiment compréhensible pour les associés de sociétés en nom collectif et en commandite (art. 2 al. 1 let. f revOBA-FINMA).
L’OBA-FINMA opère pour la première fois une distinction entre le «détenteur du contrôle» de la personne morale et de l’ayant droit économique des valeurs patrimoniales d’une société de domicile. Pour simplifier, retenons que le détenteur du contrôle est la personne qui contrôle directement ou indirectement une personne morale par le capital ou les droits de vote, tandis que l’ayant droit économique est la personne qui a droit au patrimoine. En bonne logique, il convient de s’enquérir de l’identité de l’ayant droit économique, comme cela a toujours été le cas jusqu’ici en présence d’opérations de caisse ou de sociétés de domicile et – nouveauté – de demander qui est le détenteur du contrôle dans une société opérationnelle.
La notion de détenteur du contrôle telle qu’elle est développée à l’art. 2 let. f de l’OBA-FINMA révisée sur la base de la CDB 16 et sans référence aux dispositions de l’art. 2a revLBA etde l’art. 697i CO, est nouvelle et tente d’établir un lien avec l’ayant droit économique au sens de l’art. 4 al. 2 revLBA, ce qui conduit en définitive à l’instauration d’un concept différent de l’ayant droit économique au niveau de l’ordonnance de l’Autorité de surveillance, à savoir celui de détenteur du contrôle, lequel est reconnu comme ayant droit économique aux conditions précisées à l’art. 56 revOBA-FINMA, sans que l’on sache très bien cependant si ce concept s’appuie sur l’art. 2a al. 3 LBA.
Détenteur du contrôle: les personnes physiques qui contrôlent une personne morale exerçant une activité opérationnelle ou une société de personnes, en détenant directement ou indirectement, seules ou de concert avec des tiers, une participation d’au moins 25 % du capital ou des droits de vote, ou d’une autre manière, et qui sont considérées comme les ayants droit économiques de ces sociétés exerçant une activité opérationnelle qu’elles contrôlent ou, à défaut, qui sont considérées comme le membre le plus haut placé de l’organe de direction.
Du fait de l’instauration du concept de détenteur du contrôle, la compréhension puis la mise en œuvre de la revOBA-FINMA dans les règlements de l’OAR se heurtent à des difficultés qui n’ont pas pu être résolues, même au terme d’âpres discussions avec l’Autorité de surveillance. Actuellement, sur la foi des dispositions de l’art. 56 revOBA-FINMA, les obligations auxquelles les intermédiaires financiers ont à se soumettre en cascade sont les suivantes:
- Sont à identifier comme détenteurs du contrôle, dans cet ordre, les personnes physiques qui contrôlent directement ou indirectement, seules ou d’entente avec des tiers, une personne morale ou une société de personnes. Le contrôle est supposé – comme dans le CO – à partir de la détention de 25 % du capital ou des droits de vote (art. 56 al. 1 revOBA-FINMA). Ce seuil de 25 % est conforme aux recommandations du GAFI et aux directives de l’UE sur le blanchiment de capitaux. Cette définition du détenteur du contrôle s’applique quelle que soit la forme juridique de l’entreprise (SA, Sàrl, société en commandite par actions, société en nom collectif ou en commandite, société simple)28, et ce de façon explicite, même si une SA a émis des actions au porteur (art. 697i et 697j CO).
- Faute de pouvoir identifier un détenteur du contrôle de cette façon, l’intermédiaire financier soumis à la surveillance de la FINMA (IFDS) doit demander au cocontractant une déclaration écrite indiquant qui contrôle la société «d’une quelconque autre manière» (art. 2a al. 3 revLBA, art. 56 al. 2 revOBA-FINMA). A défaut, l’organe supérieur de direction, en général le CEO ou le président du conseil d’administration doit être mentionné à titre subsidiaire comme détenteur du contrôle (art. 2a al. 3 revLBA, art. 2 al. 1 let. f et art. 56 al. 3 revOBA-FINMA). Alors que l’on considère encore, à propos des actionnaires ou de la personne qui contrôle la société «d’une quelconque autre manière» que ces détenteurs du contrôle sont également des ayants droit économiques, le CEO identifié à titre subsidiaire comme détenteur du contrôle n’est que détenteur du contrôle et non pas ayant droit économique. Ainsi, on en reste au fait qu’il existe bien un détenteur du contrôle mais pas d’ayant droit économique d’une société opérationnelle. Toutefois, l’argument défendu par la FINMA dans le rapport d’audition29 sur le résultat de la consultation n’est pas, à notre sens, une explication concluante pour cette réglementation. On peut se demander également si l’inscription systématique, à titre subsidiaire, du CEO comme ayant droit économique d’une société opérationnelle conduira en définitive à une carence de cadres, sachant que le poste de CEO pourra perdre de son attrait. Il ne sera pas toujours à même de satisfaire à l’exigence de transparence.
- Malheureusement, ce n’est pas tout. La FINMA rompt en effet, de par l’art. 59 al. 2 revOBA-FINMA, une deuxième fois avec le système en ce sens que la cascade compliquée des devoirs d’identification du détenteur du contrôle, avec ou sans qualité d’ayant droit économique, que prévoit l’art. 56 revOBA-FINMA sur la foi de l’art. 2 al. 1 let. f revOBA-FINMA, est réduite à néant par une disposition «fourre-tout»: en connaissance ou en présence d’indices du fait que la société opérationnelle détient des valeurs patrimoniales pour le compte d’une tierce personne, il conviendra d’identifier l’ayant droit économique de ces valeurs. Ce qui revient au bout du compte à contourner la distinction conceptuellement juste entre société opérationnelle et société de domicile. Or il serait judicieux d’appliquer systématiquement aux sociétés opérationnelles sur lesquelles pèse une suspicion de pseudo-activité opérationnelle les règles concernant les sociétés de domicile. Pourquoi fallait-il, pour cela, s’embarrasser de cette cascade d’identification du détenteur du contrôle?
- L’identification du détenteur du contrôle n’a aucun sens pour des personnes physiques qui sont les associés de sociétés de personnes et en répondent de façon illimitée sur la totalité de leur patrimoine. Ainsi, comme pour une entreprise individuelle, il faut concevoir à la rigueur une action pour le compte d’un ayant droit économique. La conception d’un détenteur du contrôle dans une société de personnes est un échec30.
Pour résumer, retenons que les dispositions évoquées plus haut de l’OBA-FINMA, par la figure artificielle du détenteur du contrôle et la cascade compliquée des obligations visées aux art. 56 et 59 revOBA-FINMA, créent un concept qui leur est propre pour établir la transparence des personnes morales et des sociétés de personnes, dépassant en cela les dispositions de la LBA et, surtout, du CO. Cette nouvelle disposition est, selon nous, en contradiction flagrante avec celles – nouvelles elles aussi – du CO, qui sont entrées en vigueur le 1er juillet 2015. Finalement, il appartiendra donc aux tribunaux de décider si, et au nom de quelle légitimité, l’art. 2a al. 3 revLBA et les dispositions correspondantes de l’OBA-FINMA priment les dispositions du code des obligations.
C’est une première: l’art. 2 let. a revOBA-FINMA définit en termes négatifs ce qu’est une société de domicile. En foi de quoi une société de domicile est, indépendamment de sa forme juridique (SA, fondation, association, Sàrl, trust, société fiduciaire, etc.), une société suisse ou étrangère qui n’exerce pas une activité de commerce ou de fabrication ou une autre activité exploitée en la forme commerciale. En d’autres termes, une société de domicile est un patrimoine incorporé à une société, sans que celle-ci n’exerce pour autant une activité commerciale.
Il s’ensuit que n’ont pas droit à l’appellation de société de domicile les holdings ou les sociétés de participation ainsi que les personnes morales qui poursuivent des buts idéaux ou d’entraide mutuelle (art. 2 al. 1 let. a ch. 1 et 2 revLBA). Cette pratique de longue date est désormais consacrée officiellement et en toute clarté par l’OBA-FINMA. Cette exigence de clarté sera également reprise dans le nouveau projet d’OBA, afin que les sociétés de domicile soient définies de façon identique dans tous les référentiels.
L’ayant droit économique doit, c’est nouveau, être identifié aussi dans une société de personnes. Malheureusement, l’OBA-FINMA révisée ne parle pas d’ayant droit économique mais, comme il est dit plus haut, de détenteur du contrôle, ce qui est un non-sens, en droit civil, pour des associés qui sont des personnes physiques indéfiniment responsables. Le détenteur du contrôle ne peut être identifié sur le plan conceptuel que pour des personnes morales qui sont les associés d’une société simple et pour des commanditaires. En pratique, dans les sociétés de personnes, une divergence entre associé indéfiniment responsable et ayant droit économique ou même détenteur du contrôle devrait toujours s’expliquer par un abus de position dominante. En l’espèce, le concept de détenteur du contrôle ne s’imposait nullement pour imposer le principe de transparence.
Le droit actuel impose déjà la communication d’un numéro de transaction et du nom du bénéficiaire pour un ordre de virement. Désormais il faut indiquer le nom et l’adresse ou, en lieu et place, la date de naissance du donneur d’ordre et du bénéficiaire, ainsi qu’un numéro de transaction (art. 10 al. 1 revOBA-FINMA). Pour les ordres de virement purement nationaux, il suffit d’un numéro de transaction, pour autant que l’intermédiaire financier soit en mesure de donner le nom et l’adresse du donneur d’ordre et du bénéficiaire dans un délai de trois jours ouvrables. Si les indications sur le donneur d’ordre sont incomplètes, l’intermédiaire financier du bénéficiaire doit suivre une approche fondée sur les risques (art. 10 al. 5 revOBA-FINMA) et, le cas échéant, se procurer les indications requises.
A l’inverse, les IFDS sont tenus de considérer la transmission de fonds et de valeurs comme comportant des risques accrus lorsqu’une ou plusieurs transactions paraissant liées entre elles atteignent ou excèdent 5000 CHF par an (art. 73 al. 2 revOBA-FINMA). Les auxiliaires auxquels l’IFDS fait appel ne peuvent travailler que pour un seul IFDS (art. 73 al. 4 revOBA-FINMA). Chaque IFDS doit tenir à jour un répertoire des auxiliaires et agents des exploitants de systèmes.
En application de l’art. 7a LBA, l’art. 11 OBA-FINMA prévoit des allégements pour les utilisateurs de cartes qui servent exclusivement au paiement sans numéraire de biens et services au sein du groupe (p.ex. une chaîne de grands magasins et ses boutiques associées). Il est possible ainsi de renoncer à l’identification du cocontractant et de l’ayant droit économique si les transactions effectuées sans numéraire sont inférieures à 1000 CHF l’unité et ne dépassent pas 5000 CHF par an. Pour les commerçants, la limite est de 5000 CHF par transaction et de 25 000 CHF par an; le seuil est fixé à 5000 CHF par an pour les opérations de leasing (art. 11 al. 1 revOBA-FINMA).
En cas de relations d’affaires durables qui ne servent pas exclusivement au paiement sans numéraire de biens et services, l’intermédiaire financier peut renoncer à se plier aux obligations de diligence si le montant disponible n’excède pas 200 CHF par mois et que les remboursements éventuels sont effectués exclusivement au crédit du compte du cocontractant auprès d’une banque en Suisse (art. 11 al. 2 revOBA-FINMA).
Dans le cas de moyens de paiement non rechargeables, il est possible de renoncer au respect des obligations de diligence si le montant disponible n’excède pas 250 CHF par support de données et 1500 CHF par opération et cocontractant, et à condition que l’avoir ne serve qu’à payer des biens et services (art. 11 al. 3 revOBA-FINMA).
Dans tous les cas, l’intermédiaire financier qui veut faire usage de ces allégements doit pouvoir garantir par ses infrastructures techniques qu’il est en mesure de respecter les seuils ainsi définis et détecter leur dépassement éventuel (art. 11 al. 4 revOBA-FINMA).
Les émetteurs de moyens de paiement comme la carte de crédit ou la carte client (avec ou sans option de crédit) peuvent renoncer à se plier à leur devoir d’identification s’ils l’ont valablement délégué à une banque (art. 12 al. 1 revOBA-FINMA).
Ils peuvent faire de même lorsque les opérations ne dépassent pas 10 000 CHF pour une carte prépayée, 25 000 CHF pour une carte postpayée; pour des paiements directs entre particuliers, les paiements sont plafonnés à 500 CHF par mois et à 3000 CHF par an (art. 12 al. 2 revOBA-FINMA).
Comme c’était la règle jusqu’ici, les personnes chargées de fonctions publiques dirigeantes à l’étranger ainsi que les personnes physiques et morales qui leur sont proches sont désignées par le terme de personnes exposées politiquement, en abrégé PEP (art. 2a al. 1 let. a revLBA). En font partie, outre les personnes qui exercent une fonction au niveau national de l’Etat considéré, les hauts fonctionnaires de l’administration, de la justice, de l’armée ou des partis au niveau national, les organes suprêmes d’entreprises étatiques d’importance nationale. En conséquence, les relations d’affaires avec ces personnes sont qualifiées automatiquement de relations comportant des risques accrus (art. 13 al. 3 revOBA-FINMA). Elles doivent être autorisées explicitement par la direction et désignées spécifiquement comme telles, afin que l’intermédiaire financier et les réviseurs puissent exercer une surveillance en conséquence.
L’innovation réside dans la création de la catégorie des PEP suisses. Sont réputées telles au sens de l’art. 2a al. 1 let. b revLBA, les personnes qui sont chargées de fonctions publiques dirigeantes au niveau national dans la politique, l’administration, l’armée ou la justice, ainsi que les membres du conseil d’administration ou de la direction d’entreprises étatiques nationales. La qualification de PEP suisse prend fin 18 mois après la cessation de la fonction en question (art. 2a al. 4 revLBA).
A la différence des PEP étrangères, les PEP suisses ne sont soumises à des obligations de diligence accrues que si, en plus de leur qualification de PEP, elles présentent d’autres facteurs de risque au sens des art. 13 al. 2 ou art. 14 revOBA-FINMA, par exemple des structures complexes, l’importance des valeurs patrimoniales, l’importance des entrées et sorties d’espèces ou de transactions qui n’ont aucun sens sur le plan économique, ou encore des relations d’affaires avec des pays, branches ou personnes comportant des risques accrus.
Une autre catégorie nouvelle de PEP comprend les personnes exerçant des fonctions, dirigeantes – président, directeur, secrétaire général – dans des organisations intergouvernementales ou au sein de fédérations sportives internationales (art. 2a al. 1 let. c revLBA). Ces personnes obéissent aux mêmes règles que les PEP suisses.
La loi omet de préciser ce qu’est une «personne proche». Elle indique simplement que cette proximité peut s’expliquer par des raisons familiales, personnelles (sociales) ou relevant de relations d’affaires (art. 2a al. 2 revLBA). Dans toutes les catégories de PEP, l’intermédiaire financier, puis l’entreprise de révision doivent définir selon une approche fondée sur les risques qui et quelles sociétés sont à classer parmi les personnes proches et relèvent ainsi d’une surveillance accrue. Voilà qui est extrêmement difficile à juger, notamment en présence de rapports de participation multiples, indirects, dans lesquels la PEP proprement dite détient une participation minoritaire dans une société par ailleurs «ordinaire», et encore plus quand les intéressés résident tous à l’étranger. En l’espèce, il devrait s’avérer nécessaire de s’en remettre à la possibilité d’un contrôle par le biais du capital ou des droits de vote, c.-à-d. lors que la PEP ou la personne proche d’elle contrôle 25 % du capital ou des droits de vote.
Cette catégorisation de PEP et de personne proche de PEP s’applique lorsque ces personnes agissent en qualité de cocontractant, d’ayant droit économique, de détenteur du contrôle ou de mandataire (art. 13 al. 5 let. a à d, revOBA-FINMA).
Les intermédiaires financiers sont tenus, comme jusqu’à présent, de répartir leurs cocontractants en relations relevant de la LBA et / ou transactions «normales», et en relations ou transactions présentant des risques accrus. L’art. 15 revOBA-FINMA énumère de façon exemplaire les points à clarifier et à documenter – entre autres l’identité de l’ayant droit économique, l’origine plausible des valeurs patrimoniales, les entrées et sorties de fonds, les structures, le statut de PEP, etc. (cf. art. 6 revLBA).
Si l’acceptation d’une relation d’affaires présentant des risques accrus est possible, elle requiert néanmoins l’accord d’un organe supérieur ou, dans une grande entreprise, de la direction (art. 18 revOBA-FINMA) et, en cas de relation d’affaires durable, une surveillance permanente ainsi qu’une décision annuelle quant à la poursuite de cette relation (art. 25 revOBA-FINMA). Quoi qu’il en soit, la situation que voici doit donner lieu à clarification (art. 6 al. 2 let. c LBA) et, le cas échéant, à une déclaration (art. 9 al. 1 let. c LBA): l’intermédiaire financier ou un négociant sait ou présume, sur la base de soupçons fondés, que la Commission fédérale des maisons de jeu CFMJ ou la FINMA ou encore une autre OAR aurait dû faire une déclaration.
Les obligations dites de diligence des négociants, qui sont réglées à l’art. 8a revLBA, n’étaient pas comprises dans l’avant-projet de LBA, lequel disposait encore que les versements en espèces de plus de 100 000 CHF – relevant surtout de contrats de vente du secteur réel – étaient interdits sauf à transiter par un intermédiaire financier sous forme de virement. La disposition de l’avant-projet et du projet était, en ce sens, claire et logique. Le Parlement – assez tard – a fini par présenter puis adopter une proposition de compromis entre les divers intérêts. En foi de quoi l’art. 2 revLBA distingue, parmi les sujets concernés par la loi, les intermédiaires financiers (comme jusqu’ici) et les négociants. Les négociants qui exercent leur activité dans le secteur réel et ne sont donc pas affiliés à une OAR peuvent choisir conformément à l’art. 8a revLBA, tout comme les intermédiaires financiers, entre remplir les obligations d’identification qui les concernent quant au cocontractant et, le cas échéant, à l’ayant droit économique, ou renoncer à des versements en espèces et ne plus effectuer de transactions supérieures à 100 000 CHF que par le biais d’un intermédiaire financier. S’il décide d’effectuer des transactions en espèces de plus de 100 000 CHF, il doit se plier aux obligations les plus élémentaires d’identification du cocontractant et de l’ayant droit économique et, en cas de suspicion de blanchiment, s’acquitter d’une déclaration au sens de l’art. 9 al. 1bis et 1ter revLBA. La vérification du respect de ces dispositions incombe à une entreprise de révision particulièrement qualifiée (art. 15 revLBA).31 Ces obligations sont concrétisées par la nouvelle ordonnance du Conseil fédéral sur le blanchiment d’argent (OBA) mentionnée en introduction, dont la consultation s’est achevée le 9 septembre 2015.
L’art. 21 revOBA-FINMA établit un lien avec le délit fiscal qualifié défini à l’art. 305bis al. 1bis CP et dispose que l’intermédiaire financier peut s’appuyer sur le taux d’imposition maximal du pays du domicile fiscale du client pour déterminer si les impôts soustraits au titre des impôts directs ont atteint le seuil de 300 000 CHF ou leur contre-valeur annuelle à l’étranger. Cela devrait être faisable pour les entreprises d’une certaine taille, notamment les banques qui disposent de savoir-faire sur divers pays, mais sera sans doute beaucoup plus difficile pour les petites entreprises, d’autant qu’il est parfois ardu dès à présent, au niveau international comme en Suisse, de déterminer où le client a son domicile fiscal.
Une modification importante pour tous les intermédiaires financiers et les négociants qui effectuent des transactions en espèces supérieures à 100 000 CHF a trait aux obligations en matière de déclaration de relations d’affaires suspectes. Certes, l’art. 9 revLBA prévoit, comme auparavant, que l’intermédiaire financier doit, en cas de soupçon fondé de blanchiment d’argent, en informer le bureau de communication en matière de blanchiment d’argent (MROS). Face à un soupçon qui ne revêt pas le caractère de gravité d’un soupçon fondé, il dispose aussi, en vertu de l’art. 305ter al. 2 CP d’un droit de communiquer au bureau de communication.
La nouveauté, toutefois, est que l’intermédiaire financier, malgré la déclaration, n’est pas automatiquement contraint de bloquer les valeurs patrimoniales concernées. En effet, le bureau de communication dispose désormais d’un délai de 20 jours ouvrables pour décider de transmettre ou non les informations communiquées aux autorités de poursuite pénale (art. 23 al. 5 revLBA). Durant ce laps de temps, l’intermédiaire financier est autorisé à exécuter les ordres de clients (art. 9a revLBA). Cela vaut aussi pour les communications selon l’art. 305ter al. 2 CP.
Ce n’est que lorsque le bureau de communication a transmis les informations et en a informé l’intermédiaire financier (art. 23 al. 5 et 6 revLBA) que ce dernier est tenu de bloquer les valeurs patrimoniales (art. 10 al. 1 revLBA). Ce blocage est maintenu jusqu’à la réception d’une décision de l’autorité de poursuite pénale compétente, mais durant cinq jours ouvrables au plus à compter du moment où le bureau de communication lui a notifié avoir transmis les informations (art. 10 al. 2 revLBA).
En dérogation à cette nouvelle réglementation relative à l’obligation d’informer, l’intermédiaire financier doit procéder comme jusqu’ici au blocage dès qu’il a informé le bureau lorsque cette information s’appuie sur l’art. 9 al. 1 let. c revLBA, c.-à-d. lorsqu’il a déjà obtenu de la part de la FINMA, de la CFMJ ou de l’OAR des indices à propos des personnes ou des organisations signalées. Il est permis de se demander, vu cette nouvelle disposition, si un intermédiaire financier n’est pas en quelque sorte le «bras droit», l’agent d’exécution de la FINMA.
Comme toujours, l’intermédiaire financier déclarant n’est autorisé à informer de sa communication ni le ou les clients concernés, ni aucun tiers (art. 10a al. 1 revLBA). Ne sont pas considérées comme un tiers la FINMA, la CFMJ et l’OAR, de sorte qu’elles peuvent être informées. Il a le droit aussi, dans l’intérêt d’une coordination de la communication, d’informer un autre intermédiaire financier (art. 10a al. 3 revLBA). Il en va de même, par analogie, des négociants subordonnés (art. 10a al. 5 revLBA).
Désormais, il est précisé expressément que l’intermédiaire financier, en dépit de l’obligation d’informer, a le droit de se déterminer lorsqu’il s’agit de sauvegarder ses propres intérêts dans le cadre d’une procédure civile, pénale ou administrative (art. 10a al. 6 revLBA).
Le bureau de communication est ce qu’il est convenu d’appeler une financial intelligence unit (FIU). Dès la révision de la LBA de 2013,32 il s’est vu conférer la compétence de s’associer à des procédures d’assistance administrative avec d’autres FIU. L’assistance administrative, y compris en Suisse entre le DFF, la FINMA et la CFMJ, est désormais étendue avec l’art. 22a revLBA, notamment en ce qui concerne les cas de suspicion de financement du terrorisme. Le projet d’OBA prévoit, au-delà, de ce cas-là, d’autres devoirs d’information.
Outre la transparence exigée de la part des personnes morales et le combat mené contre les versements en espèces, la lutte contre la malhonnêteté fiscale est le troisième volet des recommandations 2012 du GAFI. Ces tax crimes (infractions fiscales pénales selon la terminologie propre au GAFI) sont, dans ces recommandations, des actes préalables au blanchiment d’argent. La définition de l’infraction ou les critères servant à déterminer quand un délit fiscal devient un tax crime au sens du GAFI ont été laissés à l’appréciation de chaque pays. Alors que la Suisse, dans l’avant-projet de révision de la LBA, considérait qu’il était possible de trouver une définition unique du tax crime dans les diverses lois fiscales, les délibérations menées durant le processus législatif ont démontré l’absence de consensus sur le sujet. En conséquence, le principe ancré à l’art. 305bis CP selon lequel un crime au sens de l’art. 10 CP entre en ligne de compte comme acte préalable au blanchiment d’argent est passablement érodé dans le domaine des impôts directs. Aux termes de l’art. 305bis al. 1bis revCP, c’est un «délit fiscal qualifié» qui est désormais un acte préalable au blanchiment. Quant aux impôts indirects, il y a délit fiscal qualifié lorsque la somme soustraite à l’impôt atteint 300 000 CHF par année fiscale.33 Les impôts indirects (et notamment la TVA) et les délits douaniers connaissent déjà des éléments qualifiés constitutifs d’une escroquerie au sens de l’art. 146 CP (art. 14 al. 4 revDPA34) et vont de pair en particulier avec une falsification de documents (faux bilans, fausses déclarations douanières, etc.).
Jusqu’à présent, la loi fédérale sur la poursuite pour dettes et la faillite (LP)35 était ainsi conçue que les achats effectués lors d’une procédure d’exécution forcée devaient être réglés en espèces. Il est désormais prévu qu’à partir d’un montant de 100 000 CHF, le paiement doit transiter par un intermédiaire financier, autrement dit une banque (art. 129 al. 2 et art. 136 al. 2 revLP). C’est là, certainement, une innovation sensée en ce qui concerne la vente aux enchères de biens immobiliers. Indépendamment de la lutte contre le blanchiment d’argent, l’ancienne réglementation – paiement espèces obligatoire – n’était plus conforme au marché.
Pour respecter l’exigence de transparence, les fondations ecclésiastiques et les fondations de famille devront elles aussi procéder à leur inscription au registre du commerce, et ce, dans un délai de cinq ans à compter de l’entrée en vigueur de la LBA révisée. Dans le sens d’une protection des droits acquis, elles conserveront l’exercice de leurs droits civils jusqu’à leur inscription.
Comme il est déjà précisé plus haut,36 les dispositions du CO concernant le registre des détenteurs d’actions au porteur et l’identification de ces actionnaires sont entrées en vigueur dès le 1er juillet 2015.
D’une manière générale, le CO considère que toute entreprise doit avoir connaissance de ses propriétaires. Ce qui, dans les faits, rapproche grandement l’action au porteur de l’action nominative, s’agissant de la transparence du propriétaire.
Une réglementation analogue est prévue pour les associés d’une Sàrl. Les sociétés coopératives sont tenues elles aussi de tenir une liste de tous leurs associés, mais celle-ci ne doit pas nécessairement être déposée au registre du commerce.
La mise en œuvre des recommandations 2012 du GAFI est chose faite sur les points essentiels mais s’est heurtée à un certain nombre de difficultés car le concept de personne morale tel que le connaissent les législations d’Europe continentale depuis bientôt deux siècles connaît une rupture. Le temps a manqué pour une refonte complète des implications dogmatiques. C’est ainsi que l’approche selon laquelle la transparence sur les propriétaires, les ayants droit économiques et les détenteurs du contrôle (ces derniers à titre subsidiaire, à défaut d’ayant droit économique) de toutes les entreprises doit être totale est certes incontestable mais que sa mise en œuvre se perd dans les détails, est parfois inconséquente et difficilement compréhensible.
Il appartiendra aux responsables des cours de formation sur la nouvelle LBA de débattre de ces nombreuses questions de détail et, si possible, de les clarifier.
- Groupe d’Action Financière, en anglais Financial Action Task Force («FATF»). Il publie des normes internationales ou des recommandations concernant la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme.
- Recommandations du GAFI (Normes internationales sur la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme et de la prolifération) du 16 février 2012. www.fatf-gafi.org/fr/themes/recommandationsgafi/documents/recommandations-gafi.html (site visité le 27 juillet 2015).
- L’avant-projet date du 27 février 2013, cf. l’aperçu de la procédure de consultation achevée entretemps, y compris le rapport final, sur www.admin.ch/ch/f/gg/pc/ind2013.html#EFD (site visité le 27 juillet 2015); message du 13 décembre 2013, FF 2014 585, qui ne contenait plus que le projet du GAFI.
- RS 955.0.
- RS 220.
- RS 951.31.
- RS 957.1.
- RS 210.
- RS 281.1.
- RO 2015 1389.
- Facincani Nicolas & Sutter Reto, Obligations d’annoncer des actionnaires de sociétés anonymes privées – Vers un actionnaire «transparent»?, in TREX 4/2015, p. 216 ss.
- RS 955.033.0.
- C’est également le 1er janvier 2016 qu’entrera en vigueur la nouvelle version de la Convention relative à l’obligation de diligence des banques (CDB 16), qui, dans sa conception, correspond à l’OBA-FINMA révisée.
- Message du 5 juin 2015 FF 2015 4233.
- AP-LSFin / LEFin du 27 juin 2014.
- www.admin.ch/ch/f/gg/pc/documents/2384/LEFin LSFin-Rapport-resultats-fr.pdf, p. 49 s (site visité le 30 août 2015).
- Organisation de coopération et de développement économiques. www.oecd.org.fr/ (site visité le 28 juillet 2015).
- Message relatif à l’approbation de l’accord multilatéral entre autorités compétentes concernant l’échange automatique de renseignements relatifs aux comptes financiers et à sa mise en œuvre (Loi fédérale sur l’échange international automatique de renseignements en matière fiscale, Loi EAR) FF 2015 4975; Arrêté fédéral portant approbation de l’accord multilatéral entre autorités compétentes concernant l’échange automatique de renseignements relatifs aux comptes financiers, FF 2015 5061; Accord multilatéral entre autorités compétentes concernant l’échange automatique de renseignements relatifs aux comptes financiers, FF 2015 5063.
- Message relatif à l’approbation de la Convention du Conseil de l’Europe et de l’OCDE concernant l’assistance administrative mutuelle en matière fiscale et à sa mise en œuvre (modification de la loi sur l’assistance administrative fiscale), FF 2015 5121; Arrêté fédéral portant approbation et mise en œuvre de la Convention du Conseil de l’Europe et de l’OCDE concernant l’assistance administrative mutuelle en matière fiscale FF 2015 5169; Convention concernant l’assistance administrative mutuelle en matière fiscale, FF 2015, 5179.
- Loi fédérale sur l’échange international automatique de renseignements en matière fiscale (Loi EAR) (projet), FF 5101.
- RS 955.071.
- Art. 7 al. 1 let. a P-OBA.
- C’est ainsi que l’avant-projet de LBA reposant sur la révision menée par le GAFI a oublié qu’il existe la loi sur les titres intermédiés (LTI) et que les dispositions relatives aux actions au porteur BEG) avaient déjà été modifiées par cette LTI.
- Recommendation 10, par. 2 (ii) GAFI 2012.
- Art. 2 let. a ch. 2 et let. c ch. 2 LSR, art. 9a let. c LSR, art. 11g al. 1 let. c OSRev.
- En raison notamment du terrorisme, le GAFI a déployé des efforts accrus pour développer des méthodologies de prévention et d’identification des flux servant àalimenter le financement du terrorisme. Cf. www.fatf-gafi.org/topics/methodsandtrends/documents/financing-of-terrorist-organisation-isil.html (site visité le 30 août 2015).
- Facincani & Sutter, note en bas de page n° 11, p. 218.
- Dans une société coopérative, tout contrôle par le capital ou les droits de vote est de toute manière inenvisageable du fait que les associés ont tous les mêmes droits (art. 854 CO).
- Rapport d’audition sur l’OBA-FINMA du 3 juin 2015, p. 18. www.finma.ch/fr/news/2015/06/mm-gwv-fin ma-20150623/ (site visité le 30 août 2015).
- Les commentaires développés par la FINMA dansle rapport d’audition, p. 16 s, ne parviennent pas à convaincre.
- Et ce, bien que ces négociants ne soient obligés ni de tenir une comptabilité ni de disposer d’un organe de révision au sens du CO. Ces prescriptions ne sont plus non plus conformes à la LSR et à l’OSRev révisées, qui posent des exigences claires et unifiées aux sociétés de révision des différents intermédiaires financiers.
- Loi fédérale du 21 juin 2013, en vigueur depuis le 1er novembre 2013. RO 2013 3493, FF 2012 6497.
- Un concept analogue a été choisi dans le domaine des opérations d’initiés et de la manipulation du marché au sens des art. 40 al. 2 et 40a al. 2 de la loi sur les bourses (LBVM), RS 954.1. Tandis que l’infraction de base est un délit, on est, pour un montant du délit d’un million de CHF, en présence d’un crime qualifié au sens de l’art. 10 CP, et don d’un acte préalable au blanchiment d’argent.
- Loi fédérale sur le droit pénal administratif, RS 313.0.
- RS 281.1.
- Cf. note en bas de page n° 16.