Le nouveau droit de l’assainissement a pris effet il y a deux ans, le 1er janvier 2014. La pratique en ce domaine a encore peu évolué depuis cette date. Cela devrait s’expliquer par le fait que le besoin d’assainissements financiers semble plutôt faible actuellement. Il est envisageable, mais peu probable, que la loi soit si claire que peu de questions de droit se sont posées.
La révision du droit de l’assainissement avait pour but d’assouplir la procédure et d’abaisser le seuil d’octroi d’un sursis concordataire. Chaque sursis concordataire définitif est aujourd’hui précédé d’une phase provisoire qui dure généralement deux mois (au maximum quatre mois) et au cours de laquelle les bases de l’appréciation des possibilités d’assainissement et des perspectives d’assainissements peuvent être réunies, alors qu’elles auraient autrefois dû être disponibles dès l’octroi. Les procédures mineures dans la pratique démontrent que la demande de sursis concordataire n’est souvent posée qu’à l’occasion de la procédure de liquidation et que sa documentation est alors insuffisante, voire inexistante. Souvent (et de manière infondée), la demande n’est alors pas du tout traitée et n’est pas non plus formellement rejetée et la procédure de faillite est simplement ouverte. C’est une erreur juridique, puisque le juge des faillites est tenu de traiter la demande (et ce conformément aux conditions allégées). Cela peut s’avérer dangereux pour le débiteur disposé au concordat et digne du concordat, car aucune requête de sursis concordataire ne peut alors plus être formée devant l’instance de recours, même si ce délai de recours offrait suffisamment de temps pour la préparation et la documentation de la requête.
A cet égard, nous ne répéterons jamais assez qu’un assainissement peut être d’autant plus réussi qu’il est recherché rapidement et de façon ciblée. Dans ce contexte, il est beaucoup plus simple et efficace d’économiser résolument les liquidités encore disponibles pour des contributions à l’assainissement que de les consacrer pendant des mois à de quelconques manœuvres avec certains créanciers selon la devise que celui qui crie le plus fort est servi en premier.
Selon le droit remanié de l’assainissement, les exigences à l’égard de la requête de sursis concordataire sont moins élevées qu’auparavant. L’autorisation du sursis provisoire doit être simple et rapide, la loi disposant même «sans délai». La doctrine a pratiquement abandonné le concept initial d’effet de protection immédiate des créanciers à la remise de la requête de sursis concordataire (à l’instar du «Chapter 11» dans le droit américain. Les effets protecteurs pour le débiteur (mais aussi pour les créanciers – on parle bien de protection des créanciers) ne prennent effet qu’à l’autorisation de la requête par le juge du concordat.
La capacité d’assainissement du requérant constitue logiquement la condition (économiquement fondée) pour l’octroi d’un sursis concordataire. Un bilan actuel, un compte de résultats et un plan de trésorerie sont évidemment nécessaires afin de la contrôler. Le tribunal doit pouvoir considérer et évaluer l’état actuel et futur du patrimoine, des résultats et des revenus du débiteur. La loi requiert en outre à l’art. 293 LP un plan d’assainissement provisoire (aussi rudimentaire soit-il, qui doit être concluant et compréhensible et qui doit aussi pouvoir être financé). Ce n’est que dans des situations exceptionnelles et dans des cas simples ou urgents, que la requête peut également être consignée verbalement auprès du tribunal (mais de préférence pas seulement lors de l’audience d’ouverture de la procédure de faillite comme indiqué ci-dessus).
A ce stade, le débiteur n’a pas besoin de prouver qu’il est insolvable. Il peut aussi simplement risquer d’être insolvable. Un tel risque d’insolvabilité est envisagé quand il faut supposer que le débiteur risque une insolvabilité à moyen terme. Il convient néanmoins de mettre un terme aux requêtes de sursis concordataire abusives.
Dans le cas d’une crise des liquidités difficilement surmontable, on peut envisager une requête de sursis en vue d’obtenir la non-publication du sursis (art. 293c al. 2 LP – l’exception absolue) et la possibilité d’abandonner au final le sursis sans qu’il n’ait jamais été rendu public. De tels cas sont envisageables, mais ne sont pas précisément connus en raison de l’absence de publication. Cette option n’est envisageable que dans une procédure de sursis pure, c.-à-d. s’il est relativement clair qu’aucun intérêt des créanciers n’est affecté.
Contrairement au droit antérieur et de manière totalement logique, la loi exclut la possibilité de contester l’autorisation du sursis concordataire provisoire et la nomination d’un commissaire provisoire (art. 293d LP). Seule la décision de sursis définitif peut donner lieu à un recours des créanciers (art. 295c LP). Or, dans l’ATF 141 III 188, le Tribunal fédéral vient de décider qu’il est possible de faire valoir à l’encontre de la nomination d’un commissaire provisoire auprès de l’instance cantonale compétente (et pas directement auprès du Tribunal fédéral) que le commissaire provisoire ne possède pas la qualification ou objectivité / indépendance nécessaire. Le recours n’est donc pas formé à l’encontre de la nomination d’un commissaire, mais de la personne nommée comme commissaire (et de sa qualification). Le Tribunal cantonal ayant été compétent, la réclamation afférente dans le cas litigieux n’a toutefois pas pu être directement adressée au Tribunal fédéral.
La même décision a également retenu que l’avance sur les frais fixée devait être contestée par voie de recours dans des affaires civiles et non par le biais du recours devant l’autorité supérieure de surveillance selon les art. 17 ss LP, ce qui est en principe logique.
Un sursis concordataire provisoire ne devant durer que deux à quatre mois, parce que les recours prennent toujours beaucoup de temps, le commissaire ayant parfois à apprécier des situations relativement complexes et à prendre des décisions importantes en très peu de temps, cette décision est problématique mais compréhensible. Il est donc important que la requête de sursis concordataire s’accompagne aussi de la proposition d’un commissaire indépendant et compétent pour que cette situation critique soit d’emblée évitée.
Lors de la formation de la requête de sursis concordataire, il est en outre à noter que son rejet peut directement déboucher sur l’ouverture d’une procédure de faillite, les recours habituels pouvant être formés dans ce cas. C’est de nouveau une raison pour que la requête soit impérativement préparée avec soin et professionnalisme.
Si le commissaire nommé conclut que la capacité d’assainissement est effective ou que le résultat d’une liquidation concordataire serait plus avantageux pour les créanciers qu’une faillite, un sursis concordataire définitif est accordé. Les créanciers peuvent se défendre contre cette mesure au moyen d’un recours. Ils peuvent par exemple exposer que la conclusion d’un concordat semble improbable ou que le financement du dividende n’est pas assuré. L’autorisation peut être renvoyée jusque devant le Tribunal fédéral. Le recours à l’encontre de la décision du tribunal cantonal supérieur du concordat n’est lié à aucune valeur du litige; il est possible de ne contester que la violation des droits constitutionnels. Le Tribunal fédéral n’applique pas le droit d’office, mais n’examine que les recours formés et motivés de manière claire et détaillée (TF 5A_243/2015). Le rapport du commissaire est essentiel; il doit indiquer qu’il existe des perspectives d’assainissement ou de confirmation d’un concordat. Le juge du concordat peut en principe s’appuyer sur le rapport du commissaire, d’autant que celui-ci est un expert.
Un sursis concordataire définitif peut être prolongé jusqu’à 24 mois au plus, conformément à l’art. 295b LP. En cas de prolongation au-delà de douze mois, le commissaire doit convoquer une assemblée des créanciers. Il s’agit d’une «assemblée extraordinaire des créanciers». Contrairement à l’assemblée ordinaire des créanciers, où les créanciers sont informés de façon générale sur l’état de la procédure et le projet de concordat, où le concordat leur est présenté pour approbation et où les organes de liquidation sont élus, il s’agit simplement d’une information des créanciers sur l’état de la procédure. Contrairement au droit antérieur, les créanciers obtiennent donc des droits de participation accrus (élection de la commission des créanciers, élection d’un autre commissaire ou d’un commissaire supplémentaire). Cela aura cependant aussi pour effet que le commissaire devra faire tout son possible pour mettre un terme au sursis dans un délai de douze mois, la planification de l’assemblée extraordinaire devant commencer après environ sept mois, car elle doit impérativement se dérouler avant l’expiration d’un délai de neuf mois.
Si une prolongation du sursis concordataire est refusée par le tribunal du concordat, les autres possibilités de recours sont disponibles. Les exigences sont toutefois élevées et les preuves doivent être disponibles devant l’instance cantonale supérieure. Le délai de recours ne peut par exemple pas être mis à profit pour mener des négociations supplémentaires avec certains créanciers (TF 5A_170/215). C’est essentiel, car l’ouverture de la procédure de faillite est directement décidée avec le refus de la prolongation du sursis concordataire.
Dans le droit remanié de l’assainissement, le commissaire peut faire usage de l’entrée en relation contractuelle sélective ou partielle dans le cas de contrats de durée. Elle peut être indiquée quand certaines choses louées ne sont plus requises ou quand le débiteur concordataire n’a plus besoin de certains objets en leasing. Avec l’approbation du commissaire, de tels contrats peuvent en tout temps être dénoncés à une date quelconque, pour autant que la partie adverse soit indemnisée. Il faut toutefois que le but de l’assainissement soit compromis en l’absence de cette mesure. Il est toutefois essentiel à présent, et c’est l’avantage de l’assainissement, que l’indemnisation due ne représente qu’une créance concordataire et que seuls les dividendes doivent être versés. La disposition n’est pas claire à tous égards, mais n’a pas encore débouché à ce jour sur une décision du Tribunal fédéral.
L’art. 306 al. 1 ch. 3 LP révisé prévoit que le titulaire de parts doit s’acquitter d’une contribution équitable destinée à l’assainissement du débiteur en cas de concordat ordinaire. L’autorisation du juge ne doit pas être accordée si cette condition n’est pas remplie. Sont considérés comme titulaires de parts les personnes qui détiennent une participation économique dans un débiteur, autrement dit les actionnaires d’une SA, les associés d’une Sàrl ou les sociétaires d’une Scoop.
Le contexte est qu’un actionnaire doit s’attendre avant l’assainissement et donc avant une faillite que son capital-risque engagé n’ait plus aucune valeur; les capitaux empruntés devant être apportés avant les capitaux propres. Dans le cas d’un concordat ordinaire, c.-à-d. un concordat-dividende, les créanciers n’obtiennent plus qu’un dividende concordataire, alors que le capital-actions ou le capital de base ou social reste entièrement intact. La symétrie des sacrifices n’a donc jamais été garantie entre les créanciers et les titulaires de parts, même si très peu de créanciers l’ont jamais constaté. Ils sont régulièrement mis devant le fait accompli, soit ils perçoivent encore un dividende, soit celui-ci est réduit ou supprimé en cas de faillite.
Dans l’ancien droit, cela avait notamment pour conséquence que les titulaires de parts pouvaient profiter d’un concordat, parfois au détriment des créanciers, ce qui produisait donc un résultat plutôt choquant.
L’étendue de la participation du bailleur de capitaux propres est laissée à l’appréciation du juge. La nouvelle exigence légale de confirmation est la moins claire et relève le plus d’incertitudes. Aux termes du message, une contribution légale à l’assainissement peut consister en l’approbation, par les actionnaires d’une SA à assainir, d’une augmentation de capital précédée d’une réduction du capital. Des renonciations à des créances ou des postpositions de titulaires de parts sont également possibles, tout comme l’octroi de nouveaux prêts à la société à assainir. Cela suppose de ne pas utiliser jusqu’au dernier francs pour des tentatives d’assainissement infructueuses avant l’assainissement et donc d’engager précisément les mesures nécessaires le plus tôt possible. Si un titulaire de parts assume parallèlement la direction de la société, une contribution à l’assainissement est également possible par la renonciation complète ou partielle au salaire ou la renonciation à d’autres avantages résultant des rapports de travail.
Il n’y a pas encore eu de décision y relative à ce jour.
La suppression du privilège de TVA contribue grandement à l’amélioration des possibilités d’assainissement. Les créances privilégiées dans la procédure concordataire devant en effet être systématiquement payées. Dans certaines procédures de sursis, cela avait pour conséquence qu’aucun sursis ne pouvait être accordé ou que le sursis devait être révoqué assez rapidement.
Dans le sillage de la révision, la question qui vient immédiatement à l’esprit est de savoir quels privilèges doivent encore être respectés, notamment si des créances de TVA correspondant à des années où le privilège existait encore sont arriérées. L’Office fédéral de la justice s’est donc vu contraint de publier une information à ce sujet. Conformément à la règle telle qu’elle était appliquée lors de l’introduction du privilège de TVA, l’OFJ estime que les créances formées avant le 1er janvier 2010 sont colloquées en 3e classe, que celles nées entre le 1er janvier 2010 et le 31 décembre 2013 sont colloquées en 2e classe et que celles qui sont ultérieures au 1er janvier 2014 sont de nouveau colloquées en 3e classe (information no 11 de l’OFJ du 19 mars 2014).
L’info TVA 26 indique la même chose pour les Offices des poursuites et des faillites. La date de naissance et la réglementation en vigueur à cette époque doivent donc être prises en compte concernant la question du privilège de la créance. Cette solution correspond à celle qui s’applique par exemple aux créances couvertes par un gage légal; là encore, il est déterminant de savoir à quelle date existait la base légale pour un droit de gage légal pour une certaine créance.
Cette réglementation a pour conséquence qu’il faut encore s’attendre pour les procédures introduites après la suppression du privilège à des créances privilégiées massives, ce qui ne correspond en principe pas à l’objectif de la révision. Une enquête réalisée auprès des Offices des faillites par Schmid Jean-Daniel, «Pendant combien de temps la TVA sera-t-elle encore privilégiée dans l’insolvabilité?», dans Jusletter du 23 juin 2014 a révélé que certains Offices des faillites avaient adopté cette pratique. Le fonctionnaire prudent s’en tiendra aux prescriptions en matière de TVA et le commissaire prudent également.
Certains auteurs estiment cependant que seule la date d’ouverture de la procédure importait. Par analogie avec l’art. 2 al. 3, disposition finale, il est déterminant que les privilèges figurant dans l’ancien droit ne continuent de s’appliquer que si la faillite a été ouverte ou la mise en gage exécutée avant l’entrée en vigueur de la loi. La disposition citée correspond aux dispositions finales relatives à la modification de la loi du16 décembre 1994, mais précisément pas à la modification de la loi qui vient d’être opérée. Selon Levante Marco, KUKO-SchKG, N. 9, 2e édition, la date d’autorisation du sursis concordataire est déterminante en ce qui concerne les dispositions transitoires. Il renvoie à l’ATF 125 III 154, qui se réfère cependant lui-même aux dispositions finales évoquées de la révision de la loi de 1994. A l’époque, il ne s’agissait pas d’éliminer un privilège comme maintenant, mais tout un ensemble de privilèges qui avaient vu le jour en près d’un siècle. L’auteur estime qu’il n’a pas encore été clairement établi que la conclusion par analogie était vraiment pertinente, bien que ce serait évidemment souhaitable. En conclusion, il indique donc que le Tribunal fédéral n’a pas encore décidé que la date de naissance de la créance n’était vraiment pas déterminante.
Pour finir, nous renvoyons à une autre opinion encore beaucoup plus confortable pour les procédures concordataires de Schmid Jean-Daniel, op. cit. Cm 14, selon laquelle même la date à laquelle la procédure est engagée ne doit pas être déterminante pour le privilège de TVA, mais la date de collocation des créances correspondantes. Cet avis serait en tous cas plus tranché et devrait être privilégié si l’on garde à l’esprit le but de la révision de la loi, à savoir l’amélioration de la capacité d’assainissement.